La recette gagnante des marchés de Noël

par Anne Gaudard, journaliste RP

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Avec notamment 230’000 visiteurs à Montreux l’an dernier, ces lieux de rencontre tournent au phénomène. Mais attention, prévient le professeur associé à l’UNIL Francis Scherly : «Ils devront rester authentiques s’ils veulent survivre.»

Ils fleurissent en hiver, quand les nuits sont les plus longues. On les re-marque à leurs odeurs de cannelle, d’orange et de sa-pin. Ou à leur lumière, scintil-lan-te lorsque le ciel s’assombrit. Et de-puis quelques an-nées, ils prolifèrent. Du Nord de l’Europe, ils s’étendent vers le Sud. Repérés à leurs guirlandes de décorations pour les fêtes, de produits régionaux ou artisanaux, de vin chaud, de crèches et autres petits cadeaux potentiels, les marchés de Noël sont devenus des incontournables du creux de décembre.
Loin d’être anodin économiquement parlant dans une période de faible affluence touristique, le phénomène a intéressé un groupe d’étudiants de l’UERT, Unité d’Enseignement et de Recherche en Tourisme de l’Ecole des HEC à Lausanne, emmené par le professeur associé Francis Scherly.

Une histoire qui démarre au XIVe siècle
On dit que les marchés de Noël remontent au moins au XIVe siècle. On les appelait alors marchés de la Saint-Nicolas. La Réforme a poursuivi la tradition en les rebaptisant Christkindlmarkt. Ils sont en effet originairement beaucoup liés à l’Europe germanophone, que ce soit l’Alsace ou la Bavière.
En Suisse, la plu-part ont une dizaine, voire une vingtaine d’années d’existence. Le plus grand prend ses quartiers dans la gare de Zurich, mais il n’a pas la renommée de ses confrères de Strasbourg, de Vienne ou de Nürnberg qui voient affluer les visiteurs par cars entiers.

Les marchés sont commerçants, ambitieux ou animateurs
En Suisse romande, c’est Montreux qui tient la vedette depuis 1995. Le plus grand des petits – ou le plus petit des grands, c’est selon – marchés de Noël est né de la volonté des commerçants d’animer la ville durant une vingtaine de jours à la veille des fêtes et se retrouve ainsi logiquement dans la catégorie appelée «commerçants» par l’étude de l’UERT. Soit les marchés organisés, comme leur nom l’indique, par les commerçants à des fins d’animation commerciale.
Mais tous n’ont pas cette seule vocation: il y a aussi les «ambitieux» promus à grand renfort de pub par les offices du tourisme afin de réchauffer les «lits froids» de décembre (Strasbourg, Vienne) ou encore les «animateurs» organisés de manière indépendante pour animer la ville en cette période souvent morose (Zurich).

 

Le public accourt
Et le public suit, chaque année plus nombreux. A Montreux, en 2002, ce ne sont pas moins de 230’000 personnes qui ont été recensées entre les ruelles de chalets illuminés. Pour en savoir plus, les étudiants ont revêtu leurs habits de Père Noël et se sont glissés dans la foule, la hotte remplie de questionnaires.
Résultat d’une enquête réalisée dans l’ambiance des Fêtes: un quart des visiteurs provient de Montreux, un tiers du canton de Vaud et un autre tiers du reste de la Suisse. Ils sont venus en couple, en groupe ou en famille. Ils se sont donc déplacés (en voiture!) pour le marché et ne dormiront pas sur place. S’ils ont essentiellement appris l’existence du marché par le bouche à oreille, ils sont venus dans le but de flâner (62 %), de se plonger dans l’ambiance de Noël (55,3 %) ou par curiosité (45,1 %), mais pas directement pour faire leurs achats (31,9 %). Un paradoxe lorsque l’on sait qu’à Montreux, ce sont les commerçants qui sont à l’origine du projet.

Des millions investis dans l’économie locale
«On sous-estime toujours le tourisme contemplatif, explique Francis Scherly. On vient, on rencontre du monde: pour les parents et les enfants, quel plaisir de croiser les autres, connus ou inconnus, dans un décor féerique. L’acte d’achat devient alors inconscient. Il est donc important de garder la magie d’un tel lieu, sinon on retombe dans la consommation de grande surface.»
Et ça marche, à en regarder les chiffres. En moyenne, re-lève l’étude, le visiteur dépense 42 francs dans le marché de Noël de Montreux. Cette somme se répartit ainsi: 24 francs pour les produits divers et 18 francs pour boire et manger. Du coup, ce sont 9,6 millions de francs qui sont grosso modo dépensés pendant la durée de la manifestation dont le budget de base avoisine le demi-million de francs.

Quant aux nuitées engendrées par le marché, elles sont estimées à 7150 (visiteurs et exposants). Ainsi, la barre des 10 millions de francs injectés dans l’économie régionale via l’événement est franchie.

Pas d’achat sans ambiance authentique
Avant d’acheter, toutefois, les visiteurs ont quelques exigences. Au niveau même de l’habillage du mot Noël. Pas question de leur vendre du vent. Ils veulent du vrai. Ils viennent rechercher «une am--biance chaleureuse et féerique». Et elle ne peut, selon eux, provenir que du cocktail suivant : illumination du lieu, musique et décoration appropriée, sens de l’accueil des exposants, vin chaud et produits du terroir authentiques, articles originaux et programme d’animation.
Montreux semble respecter le do-sage de ce «savant mélange», puisque 87,5 % des visiteurs se disent satisfaits de leur visite. Ils ont aimé la décoration, l’ambiance. Ils se sont montrés, en revanche, quelque peu critiques envers les articles proposés. Souvent trop chers et pas toujours suffisamment renouvelés.

La remarque sur l’authenticité et la diversité des produits revient également dans les éléments à améliorer cités par les visiteurs lors de l’étude. «Il faut se garder, prévient ainsi Francis Scherly, de transformer le marché en n’importe quelle grande kermesse. L’avenir appartient aux organisateurs qui sauront faire preuve d’originalité, qui demeureront pointus en matière d’authenticité des pro-duits exposés, mais aussi d’unicité thématique pour tou-te la manifestation.»

La concurrence fait rage
Car la concurrence fait rage. On s’arrache les meilleurs exposants, on cherche à tout prix à attirer le client alors même que les marchés se multiplient. Inutile de dire qu’aussi amateur soit-il, un visiteur ne se déplacera pas pour trouver ailleurs ce qu’il a déjà devant sa porte. Intervient alors la mise en scène. «Un art que maîtrisent très bien les Autrichiens en matière de tourisme, relève le professeur. Il s’agit bien de mise en scène prise dans le sens organisationnel du terme et non pas moral. Le but étant de sortir du commun, de créer des événements incitatifs, de faire découvrir certaines va-leurs.» Bref : de susciter de l’émotion! Au-delà des modes.

 

 

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