" GOOGLE A LES MOYENS DE DEVENIR UN GUICHET D'ACCÈS UNIQUE À L'INFORMATION"
OLIVIER ERTZSCHEID, enseignant-chercheur à l'université des sciences sociales de Toulouse, craint que ce moteur de recherches ne devienne « un prisme déformant de nos connaissances
IV - Le Monde 5.1.2005
Pour les internautes, Google est déjà, et sera de plus en plus, un point de passage obligé. Pourquoi ?
Google a été le premier à proposer un système de classement reposant sur
l'indice de popularité des pages Web (Page-Rank), et non plus sur l'analyse
desmots-clés. Du coup, plus une page est bien référencée, plus il y a de pages
qui pointent vers elle et plus elle semble pertinente. Il a aussi été le premier
à permettre l'accès aux contenus du « Web invisible » : les fichiers Word,
Excel, Powerpoint ou Acrobat, que l'on trouve pêle-mêle parmi les résultats
d'une recherche. Google s'est également donné les moyens de son ambition en
infrastructure technique. Google est celui qui possède le plus de centres
serveurs dans le monde, qui lui permettent de traiter et de mettre à
disposition cette somme énorme d'informations. Cette puissance
technique, en une nuit, lui a permis de référencer non plus 4,mais 8 milliards
de pages, simplement pour ne pas être dépassé par son concurrent Microsoft,
dont le nouveau moteur annonçait 5 milliards de pages indexées ! Moyennant
quoi, Google, c'est près de 150 000 requêtes chaque minute dans le monde. 73 %
des internautes français l'utilisent. Et près des deux tiers des pages
visitées sur le Web le sont à partir de Google.
Tout le battage autour de Google est donc justifié ?
C'est un champion du marketing et de la communication.
De l'interface très sobre de sa page d'accueil jusqu'au nom et aux couleurs
de la marque, en passant par sa devise, Don't be evil (« Ne soyez pas
méchant »), tout est soigneusement pesé. Mais il ne s'agit pas que d'une façade.
Google vient ainsi de passer un accord avec des universités et
bibliothèques prestigieuses (Oxford, Harvard, Stanford...) pour
numériser leurs fonds documentaires. La première phase concernera quinze
millions d'ouvrages, qui seront mis à la disposition de ses usagers.
Il y a chez Google une volonté manifeste d'hégémonie...
Il a l'ambition, et probablement les moyens, de devenir
un guichet d'accès unique à l'information. Cette volonté centralisatrice,
dans un univers aussi décentralisé qu'Internet, est une gageure et un
non-sens.
Cette hégémonie peut s'avérer dangereuse pour l'accès aux
connaissances...
Comme tout numéro 1, il est particulièrement exposé. Son fameux PageRank l'expose à des pratiques comme le « Google Bombing ». Vous lancez une recherche sur le mot « magouilleur » et vous tombez sur un site « Jacques Chirac ». Si vous tapez «Misérable failure» (lamentable échec), un site « George W. Bush » apparaît. Des internautes sont devenus des spécialistes de ce petit jeu. Mais la principale critique du PageRank, c'est qu'il favorise les sites jouissant déjà d'une certaine notoriété.
Comment va évoluer le quasi-monopole de Google ?
Pour anticiper les attaques, Google propose de
nombreux services annexes : courrier électronique (Gmail), groupes de discussion
(GoogleGroups), recherche sur les documents compilés par l'internaute
(Google Desktop)... Ces services ne sont pas supérieurs aux services
concurrents, mais le phénomène de marque joue à plein et le public suit.
Du coup, il estime pouvoir tout se permettre ?
Effectivement, il s'autorise à passer outre à un certain nombre de règles. Ainsi, il conserve de manière illégale une copie (cache) de certaines pages qui n'existent plus physiquement sur le réseau.
Y a-t-il une alternative ?
Les pages indexées par Google sont loin de représenter la totalité de l'information accessible sur Internet. D'autres moteurs, indexant moins de pages, offrent un vrai gain qualitatif à qui cherche des informations.
Pourtant, des millions d'usagers attestent qu'ils peuvent trouver toute l'information dont ils ont besoin grâce à Google...
L'information et la connaissance ne sont pas dans
Google. Tapez un mot-clé, et il affiche des millions de pages. Le problème,
c'est que l'internaute se contente généralement des trois ou quatre
premières en ayant l'impression d'avoir fait le tour de la question. Il y a un
vrai travail de pédagogie à faire auprès des usagers si l'on ne veut pas
que la formidable lentille de ce télescope informationnel ne devienne
un prisme déformant nos
connaissances.
Propos recueillis par Bertrand Le Gendre